Le soleil a rendez-vous avec la lune

Le manoir était un havre de paix. Le calme régnait avant la tempête. Les nourrices défilaient les unes après les autres sans qu'une seule ne trouve grâce aux yeux de la maîtresse des lieux. Le confinement lui allait très mal.

Les sorties se limitaient au strict nécessaire : elle ne se dérangeait plus que pour son aimé, son ordre ou simplement prendre l'air. Depuis la commémoration, elle se sentait étrange.

A l'aide de Gylianell, ils avaient pu trouver la signification d'une nouvelle rune. Non sans avoir livré un long combat éprouvant, ils avaient pu vaincre l'Esprit du Corbeau. Le pouvoir de la rune correspondante n'avait rien pu faire contre leurs volontés unies. Une victoire, un soulagement de plus. Il en restait encore cinq et son coeur de mère se serrait d'angoisse. Jamais, elle ne laisserait Kazzak la dominer, les dominer. Tsion avait fait la seule chose qui lui était raisonnable de faire à une époque ou leur vie ne tenait qu'à un fil. Personne n'avait le droit de lui en vouloir. Et ce démon était sournois, abject. Il l'avait prouvé et le prouvait encore. Ses runes lui permettaient d'avoir la main sur leur enfant. Les cinq qui ornaient encore son ventre tendu constituaient pour elle autant de doigts griffus qui s'accrochaient au plus profond de son être. Leur signification inconnue n'autorisait pas leur enfant à venir au monde. Elle le sentait. Elle sentait le moment venu.. Il restait encore quatre semaines.

Elle essayait de rire avec Nayâh, la jeune femme se montrait discrète et elle lui en était reconnaissante. Doucement, elles s'apprivoisaient. Depuis que son diable de démoniste avait pris la décision, les tensions semblaient avoir disparues. Elle avait souri en voyant la jeune femme rentrer avec sa monture : un superbe étalon. On l'avait installé à l'opposé de Satan afin d'éviter tout incident facheux.

Depuis sa terrasse, où elle paressait sous les derniers soleils de l'été, elle pouvait les observer tout à loisir. Pour tromper l'ennui, elle passait de longues heures à écrire. Les pages de son journal intime se noircissaient au fur et à mesure que les souvenirs remontaient à la surface, ses mémoires. La vie ne l'avait pas épargnée : quarante années avaient été nécessaires pour qu'elle trouve enfin la sérénité.

- Shahar ? Ma douce, es-tu heureuse ?[/

Elle ne l'avait pas entendu arriver ; il était aussi discret que son diable d'homme. Et voici bien longtemps qu'on ne l'avait appelée de la sorte. Sa voix était aussi chaude et douce que le vent du désert. Il lui parlait ce dialecte qui rejaillissait de sa jeunesse, une époque qu'elle avait cru révolue. Azeem était de ceux sans âge dont on sentait l'immense sagesse.

- Azeem, tu sais bien que oui. Il est tout pour moi. Je l'ai enfin trouvé. Je l'aime comme nul autre. Pour lui et avec lui j'irais décrocher la lune.

Elle aurait dû se sentir confuse mais elle ne recentait rien de tel. Azeem était le frère qu'elle n'aurait jamais depuis cette nuit où il lui avait offert la liberté.