Le Fil d'Argent du Désert

En début d'après midi le Dey recevait encore des personnages importants quand son secrétaire l'informa qu'un cheikh du désert venait offrir en tribut deux magnifiques pur-sangs. Kasim n'en fut guère impressionné et aurait bien reporté l'audience au lendemain mais le secrétaire insista pour qu'il voit lui-même les chevaux, lesquels attendaient dans la cour extérieure.

Kasim se sentit contrarié. Son secrétaire avait jugé le personnage assez important pour le lui envoyer alors qu'il aurait pu se contenter d'accepter le présent et renvoyer le cheikh. Si celui-ci s'était dérangé en personne, il devait vouloir quelque chose du dey. Agacé, il passa dans la pièce voisine de son bureau dont la fenêtre donnait dans la cour en question.

Il put voir les chevaux et cela malgré une foule d'officiels et de serviteurs qui s'était attroupés autour des animaux. Les deux jeunes palefreniers avaient toute les peines à maitriser les bêtes rendues nerveuses par tant d'empressement autour d'elles.

Kasim fut impressionné. Ils étaient réellement magnifiques. L'un avait la robe noire, l'autre était blanc zain rarement vu. Jamais on en avait vu d'aussi beaux à la Barheka. Il comprit pourquoi on avait tant de mal à le retenir : le noir était un splendide étalon tout en muscles dont la tête fine se balançait sans cesse, mordant tout ce qui se trouvait à portée, fouettant l'air de ses sabots dès qu'on tentait d'approcher sa colombe blanche, plus petite mais non moins fière et dangereuse. Tous deux avaient une autre particularité qui suscitait la curiosité : des prunelles bleu acier. L'espace d'une seconde, le dey eu la vision d'une jeune femme aux cheveux d'argent.

Il regagna son bureau et fit introduire le cheikh. L'homme ne pouvait ignorer la valeur d'un tel présent digne du Sultan lui-même.

Kasim frémit en imaginant l'effet que feraient ces deux chevaux sur son frère Azeem. Excellent cavalier le dey avait du renoncer à ses chevauchées depuis le début des troubles. Il allait être ravi par ces coursiers, émerveille même, jusqu'à ce qu'il réalise que, comme lui, il n'aurait guère le loisir de les monter. Voila qui n'allait pas arranger son caractère.

Le nom de l'homme qu'on introduit lui était inconnu. Peut-être aurait-il pu faire un rapprochement sans ce grand burnous qui recouvrait le visiteur de la tête aux pieds. L'homme gardait la tête baissée et sa capuche lui recouvrait les yeux, ce qui n'était guère habituel ni respectueux. Néanmoins Kasim fit l'effort de se montrer aimable en retour, en égard à la valeur du présent.

- Votre nom ne m'est pas familier. Qui êtes vous donc ?

L'homme répondit par une autre question sans sembler craindre de faire preuve d'irrévérence.

- Etes vous Kasim?

Le Dey se raidit. Il ne reconnaissait que trop bien cette voix.

Un grand rire lui répondit. Depuis combien de temps Azeem n'avait-il pas ri de la sorte ? Le Dey se raidit devant l'insolence de son interlocuteur qui relevait la tête et révélait enfin un visage complètement rasé et des yeux verts et rieurs.

- Allons Kasim, il n'y pas si longtemps. Cela ne fait que dix-neuf ans. Tu ne m'as surement pas oublié.

L'hôte se rassit, ou plutôt se laissa choir dans les coussins, stupéfié.

- Azeem ? C'est vraiment toi ? Tu es là ! Le Grand Lumineux soit loué, tu es vraiment venu.