[631 - Troisième mois] Tribunal de la Mortelle Onction - Gloire et tensions

- "J'ai besoin que tu me prennes dans tes bras."
- "Bonjour ma flamme" répondit le démoniste à voix basse, un peu surpris par cette entrée en matière mais bien décidé à ne pas se dérober à son devoir premier. Il sourit, malgré tout heureux de la voir, de la toucher, d'être simplement avec elle.
- "Serre moi fort..."

Il ne se fit pas prier et lui offrir l'étreinte douce et puissante dont elle avait besoin. Elle se pressa contre lui comme une bête aux abois. Il ne lui posa pas de questions ; les réponses viendraient d'elles-mêmes, quand elle aurait la force de les livrer. Pour l'heure elle cherchait un abri, un havre de paix, un coin de sérénité où poser cette chape de plomb qui pesait lourdement sur ses épaules, où panser les plaies de son âme à vif.

Pourtant la soirée avait été fructueuse. La Mortelle Onction s'était couverte de gloire et avait balayé sans pitié la vallée d'Arathi, repoussant loin au delà des marches les contingents de réprouvés et leurs douteux alliés. Oh, personne ne se faisait d'illusions. Dès que les troupes des forces de la lumière se retireraient, les troupes disparates d'écorcheurs reviendraient aussitôt semer le chaos, le feu et la mort. Mais pour l'heure il n'y avait eu qu'un vainqueur : l'Ordre sacré. La leçon était claire, délivrée à bon entendeur : Il n'y aurait jamais de place pour la Horde en terre d'Alliance tant que la Mortelle Onction veillerait sur ces terres.

Sa prêtresse était là, dans ses bras, les yeux mi-clos et la respiration presque imperceptible, fragile et secrète. Et elle n'avait besoin de rien d'autre que de tout oublier pour quelques heures. Le démoniste se faisait fort de lui fournir cette parenthèse régénérante, cette source à laquelle elle s'abreuverait jusqu'à en perdre la mémoire le temps d'un soupir ou de plusieurs. Ce soir ils ne dormiraient pas au manoir car il voulait l'extirper de cette ambiance trop lourde. Il la sentait incapable de s'abandonner entre les murs trop pesants. Libérant délicatement son étreinte, il se contenta de la guider d'un bras protecteur jusqu'au maître des griffons. Elle n'écouta même pas la direction, s'en remettant totalement à lui, lui qu'elle avait choisi sans vraiment s'en rendre compte. Elle savourait ce soir encore ce qu'elle ressentait comme une nouvelle chance.

Il lui offrit une nuit d'une douceur exquise, propice aux confidences, à la tendresse, une nuit au cœur de laquelle elle eut l'occasion de laisser filer sa peine, lâchant des larmes dont l'éclat de cristal purifiait son âme égratignée. Non pas une de ces nuits d'extase où la conscience se perd dans d'interminables soupirs, mais une parenthèse de douceur et de chaleur où poser ses souffrances, ses joies, partager ce qui fait mal, suturer ses plaies et ses déchirures, un petit monde rien qu'à eux où toutes les vérités sont relatives au regard d'un amour aux reflets étincelants.

Elle pleurait sa fille absente qui lui manquait terriblement. Elle pleurait le fiel de cette Cymbeline qui avait craché sur elle devant le barde des Tisseurs les pires horreurs qu'une mère puisse entendre. Elle pleurait la peine que lui inspirait Shelyak dont elle avait supporté avec trop de patience et depuis trop longtemps la verve acide en lui accordant le crédit que la druidesse voulait bien faire. Mais c'en était trop. Elle avait trop supporté, trop écouté, trop défendu. Elle était lasse... terriblement lasse... et s'endormit sans même s'en rendre compte, abandonnée aux bras de cet homme qui la chérissait.

Longuement il caressa la douce chevelure d'argent, admirant à la lumière de la lune les traits fins de son amante. Elle dormait depuis longtemps quand enfin cessa sa contemplation. Résistant à l'envie de l'embrasser, il se contenta de l'étreindre en douceur et de poser ses lèvres sèches sur ce front dont les rides soucieuses s'étaient enfin dissipées avant de s'endormir à son tour non sans veiller à prononcer les paroles qui scelleraient aux démons la porte de leurs rêves.

Bouillotte, sirop, baume chauffant... Par la Lumière, il avait droit à toute la panoplie. Pas une sinécure d'avoir une prêtresse pour amante... et surtout une seule femme. Elle se sentait nécessairement le devoir d'être aux petits soins alors qu'au moins, étant plusieurs, la responsabilité se diluait et, au final, on était plus tranquille.

Mais bon... dire que c'était désagréable aurait été un odieux mensonge, il en était bien conscient. Etre l'objet des attentions de sa bien-aimée était quelque chose de très agréable et il aurait fallu être fou pour renoncer à ces démonstrations de tendresse à défaut de mieux vu son délabrement.

Saleté de maladie. Oh bien sûr le prêtresse aurait pu le soigner d'une prière et il aurait couru dans les rues frais comme un gardon l'instant d'après. Mais, ainsi qu'elle le faisait valoir, procéder systématiquement de la sorte affaiblissait l'organisme et l'empêchait de se construire les défenses pour résister une prochaine fois, si bien qu'à force le risque devenait réel de se trouver très mal loin de tout guérisseur. De toutes façons il ne l'ignorait pas, mais se faisait aussi un petit jeu de l'amener à culpabiliser de ne pas le soulager "même un petit peu". Et ça n'était pas difficile : elle était vraiment désolée de le voir dans cet état et, de fait, s'attribuait une part de responsabilité en le faisant vivre sous ces latitudes auxquelles il n'était pas habitué, ou pas entièrement.

Alors elle le dorlotait. Ça lui faisait plaisir aussi de prendre soin de lui. Il était un peu plus "à elle" qu'à l'habitude et elle savourait d'autant mieux son absence de charge consulaire lourde car elle pouvait lui consacrer plus de temps. Lui si indépendant d'habitude... si faible aujourd'hui. Dès qu'il se sentirait un peu mieux, ils retourneraient à Cabestan car elle ne doutait pas des bienfait du climat des Tarides par opposition à ce temps de printemps où les pluies froides succédaient aux ciels voilés. Et puis elle n'avait nulle envie qu'on s'intéresse à sa vie privée qui ne regardait qu'elle et son homme. Ça faisait une seconde bonne raison.

- "Te sens-tu un peu mieux ?" s'enquit-elle d'une voix douce quand il ouvrit des yeux encore fiévreux.
- "Pas trop non."
- "Il n'est pas encore temps de prendre quelque chose. Veux-tu un peu de bouillon de poulet ?"
- "Pas faim."

Le démoniste était ronchon. Il le savait, mais c'était plus fort que lui. Pourtant il aurait voulu trouver le moyen de lui dire sa reconnaissance d'être si présente. Mais les mots ne venaient pas, murés dans un cerveau affreusement embrumé et l'agacement de se sentir réduit à l'état d'épave. Sans compter que, d'une certaine façon, il lui faisait défaut et son état ralentissait la mise en œuvre de leurs projets. Alors, prenant sur lui, il s'efforça de sourire dès qu'il capta son regard. Elle posa immédiatement son livre et sourit en retour pour venir caresser sa joue et son front brûlants.

- "Dors mon ange."

Il ferma les yeux et se rendormit immédiatement.