[622 - Septième mois] Le Poison Binaire

Tanaris, grottes de Zul'Firda, quelques années plus tôt.


- "Lumière sur toi mon vieil ami. Crois-tu que je puisse compter sur toi cette fois-ci ?"
- "Tu n'obtiendras rien de moi, sorcier !"
- "Allons, allons, sourit le démoniste avec un air mauvais, combien donnerais-tu pour revoir la lumière du jour et respirer l'air frais, ou simplement goûter un fruit juteux ? Ou... juste cesser de souffrir quelques heures ?"
- "Les démons t'emportent, Alakdjinn ! Je te hais, je te maudis !"

Les yeux fous, l'alchimiste se jeta sur Tsion'hebb en faisant claquer derrière lui les chaînes qui le retenaient au mur. Le démoniste sourit, cillant à peine devant l'haleine putride du dément, au contraire du diablotin, promu porteur de torche, qui fit un bond en arrière. l'odeur de résine brûlée de cette dernière, dont la lumière trouait à peine les ténèbres du cloaque aux allures d'oubliette, dissipait mal les miasmes de cette atmosphère croupie.

Il le laissa hurler, pester tout son saoul, c'est-à-dire finalement assez peu car l'état de santé du prisonnier n'était guère brillant. Quelques secondes après avoir laissé éclater sa hargne, le pauvre homme était de nouveau le tas de haillons puants qu'il était en entrant. Le diablotin joua de sa torche pour hâter l'individu à se relever.

Les yeux rouges de la multitude de rats qui restaient prudemment au delà de la flaque de lumière cillèrent avec intérêt lorsque, d'un revers de son gant d'étoffe rugueuse, le démoniste assena une claque magistrale au prisonnier. A peine redressé qu'il allait déjà heurter la roche nue. Il ne gargouilla qu'à peine quand l'étau des doigts du tortionnaire se refermèrent sur sa gorge.

- "Je veux la formule de ton poison binaire... et tu me la donneras."
- "Tu m'empoisonnerais avec..." parvint-il à répondre dans un chuintement.
- "Pour ce que tu en fais... Préfères-tu croupir ici ?"

Il n'avait plus la force, il le savait. Quelques jours auparavant... il n'en aurait pas été question, mais le noir, les privations, et surtout ces rats qui, dès qu'il faisait mine de s'endormir, couinaient à ses oreilles ou à proximité de ses doigts de pieds, tout ceci finissait par avoir raison de sa volonté. Mort ? Vivant ? Estropié ? Il craquait et le sentait. Son avenir se brouillait, de plus en plus compromis, de plus en plus incertain.

Il ne réagit qu'avec retard dans la lame froide s'immisça entre ses doigts ankylosés pour s'engager avec un craquement sinistre entre deux phalanges bientôt définitivement disjointes par l'acier impitoyable. L'alchimiste manqua de perdre connaissance et glissa à nouveau au sol en échappant à la main qui se desserrait, à ce regard qui se posait sur lui, vide. Un grouillement frénétique agita la masse velue des rongeurs lorsque le bout de doigt ensanglanté atterrit dans les ténèbres un peu plus loin.

C'est d'une voix éraillée d'avoir trop hurlé dans ce boyau sordide qu'il rappela à lui le démoniste dont les pas s'éloignaient dans le souterrain. Etonnamment il souffrait peu, mais le sang s'écoulait sur ce qui lui restait de robe et il serra son doigt mutilé pour en limiter l'épanchement, au bord de l'évanouissement.

- "Je... je vais tout te dire, Alakdjinn ! Reviens ! Je te la donne ! Je te la dooonne !!!"
- "Je te laisse encore quelques jours de réflexion mon bon ami, je m'en voudrais de hâter ta décision."
- "NOOOOOOOooon !"