[Possession II] Dix petites runes

Plus que huit !!! Raaah ! Cette saleté de démon était retors au plus haut point !

Dix runes le jour où il avait retrouvé son aimée, pas une de plus, pas une de moins. Dix comme le nombre de semaines qui les séparaient ce jour là de la venue au monde de leur enfant. Il le savait, il l'avait lu dans les étoiles. Il en savait aussi le sexe et les grandes lignes de sa personnalité mais il craignait que son aimée ne lui en veuille de fouiller ainsi la trame des futurs sans son accord. En vérité il n'avait pas trop eu le temps de lui demander : ça avait fait partie de ses premières recherches, et c'est dans ses calculs qu'il avait trouvé la première réponse.

Dix runes.

Certaines n'étaient pas magiques, simplement issues de langages anciens, perdus ou oubliés sauf des plus érudits. Ainsi en était-il de celle qui correspondait au symbole solaire, soleil brûlant, destructeur, irradiant, non pas source de vie mais source de purification absolue et de stérilité. Il l'avait vite reconnue car elle figurait aussi sur sa pierre de pouvoir, celle qu'il n'avait plus quittée depuis tant d'années et qui hantait le fond de ses poches, patinée incessamment par ses doigts qui l'avaient malaxée de toutes les façons possibles et sous toutes les humeurs.

Ce qui en laissait neuf.

La seconde était cachée chez les Elfes, et probablement ne l'aurait-il jamais compris s'il n'avait pas été momentanément transformé en corbeau par dame Ysiel, laquelle veillait sur l'expédition cénarienne aux Marécages de Zangar. Le corbeau, le passeur ; il avait profité de son vol rapide, de sa vue acérée et de son instinct de prédateur pour observer l'œuvre dévastatrice des Nagas sur ces terres insolemment fertiles. Enfin, hasard des circonstances ou doigt du destin, il avait identifié une seconde rune dans les profondeurs humides du réservoir : le voyage.

Encore huit.

Sur ces huit là, il croyait en reconnaitre trois. L'une semblait correspondre à la façon dont les Elfes écrivent le mot qiraj. Pour le confirmer il avait besoin de retourner à Silithius et d'inspecter ces glyphes sur les parois des temples anciens. Il aurait ainsi l'occasion de rencontrer ce maître des langues occultes qui pourrait l'aider à reconnaître la rune qu'il identifiait comme celle du poison dont il avait appris l'existence chez les Furies-des-Sables qui en conservaient les secrets au coeur de la citadelle de Zul'Farrak. Il lui confierait également le dessin de ce katar étrange qu'il conservait dans les profondeurs du manoir. La troisième qu'il croyait capable de reconnaitre était la rune de la lame, mais bien qu'il en soit persuadé, il ne savait plus comment le prouver faute d'en retrouver l'origine, et craignait fort de devoir se tourner vers des personnages fort peu recommandables.

Le temps était compté et il avait désespérément besoin d'indices. Jusqu'ici la progression était encore facile. Mais le reste se corserait, ça ne faisait pas l'ombre d'un doute.

Le feu crépitait dans la grande cheminée, dehors le vent battait les branches d'un arbre contre la fenêtre, la pluie avait succédé au soleil. On sentait que l'été filait entre les doigts.

La maîtresse des lieux s'était emmitouflée dans une épaisse capeline, elle était glacée jusqu'aux os. Assise à même le sol sur le tapis, elle jouait avec Neige qui la faisait sourire et parfois rire avec des éclats un peu tristes. L'animal mystérieux avait senti les pleurs et était venu sécher les larmes de son amie. Douce présence au fil du temps, aussi protectrice et douce qu'une mère qu'elle n'avait jamais connu.

Peu de temps avant, alors qu'elle se rendait dans la chambre de leur protégée, elle avait stoppé net ses pas en voyant la porte se refermer sur ceux de son homme. Elle s'était reculée dans une porte dérobée attendant qu'il ressorte dans un temps qui lui parut une éternité. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, sa tête lui tournait et il lui fallut s'adosser au chambranle pour ne pas tomber.

A force de volonté, elle avait relevé la tête, dessiné un sourire doux sur son visage ou seule l'ombre dansante sur son épaule témoignait du trouble profond.

Khâdin, elle était, et le resterait. Aussi forts étaient les sentiments qui les unissaient, symbiose, complicité, parfaite harmonie, lentement elle apprenait à accepter. Elle lui faisait confiance, une confiance totale sans commune mesure.

Le jeune femme occuperait toujours une seconde place et devait se douter de ce que cela signifiait mais en avait elle conscience ? Sans frapper, elle pénétrât dans la chambre, vérifia que Nayâh allait bien et lui redonna un peu de cette poudre blanche, herbe efficace dont le vieux sage avait le secret. Elle ressortit après avoir déposé un baiser presque maternel sur le front de la jeune femme.

Pourtant Mystiruis avait froid. Elle était glacée et même le potage demandé à leur cuisinière, même le feu de bois, n'avaient pas réussi à la réchauffer. La louve pelotonnée contre elle, elle remarqua à peine la présence du capitaine de la garde remettre du bois. Sans un mot il veillait lui aussi. Il avait remarqué les regards échangés entre ses hommes. Une ombre noire planait au dessus du manoir. Ils espéraient tous que le maître des lieux aurait le temps d'agir pour le bien-être de leur prêtresse, femme pour qui ils avaient juré fidélité par delà la vie et la mort.

Deux jours, il ne lui restait que deux jours pour prendre cette décision qui serait un changement radical dans sa vie. Comme souvent ces derniers temps le sommeil la fuyait ; ou plutôt elle le fuyait. Les cauchemars étaient tellement fréquents, il fallait qu'elle lutte, elle le savait.

Mais la délivrance approchait, elle le sentait. Son corps se préparait. Dans une alcôve de leur chambre, elle préparait la venue de leur enfant. Du bout des doigts, elle parcouru le berceau recouvert de satin rose et bleu. Les ultimes rayons de lune déversaient une lueur pâle dans la petite pièce. Un à un elle prit tous les petits vêtements, cadeaux récents mélangés aux souvenirs. Elle appréhendait la naissance, Arcània était née dans la douleur et le sang. Elle n'avait jamais eu des accouchements faciles et craignait celui-ci encore plus. Tout était près : du linge de maison, lingerie, lotions et autres huiles diverses.

Elle ferma son journal et le déposa sur le petit grimoire. Elle y avait couché ses doutes, ses craintes, ses joies et un testament.

Elle soupira. L'aube pointait et le soleil perçait la brume par delà les hauts murs de la demeure Hedson. A moitié dissimulée derrière les lourdes draperies de velours elle observa les premiers mouvements. En voyant Azeem faire ses exercices matinaux à l'abri des regards ; une étrange lueur brilla dans son regard acier. Le sabre de l'homme accrochait les premiers rayons du soleil. Le vieux sage n'était pas si vieux, ou plutôt... il ne le paraissait pas. Un lien les unissait tous les deux, un lien secret dont nul n'aurait pu se douter : le vieil homme vouait à la prêtresse une fidélité peu commune.

Les poisons, les explosifs, l'alchimie n'avaient guère de secret pour lui. Comme par enchantement, il releva la tête vers elle au moment ou elle disparaissait dans les ombres.

Frissonnant dans la fraîcheur du matin, elle sourit et rejoignit son diable d'homme dans les draps frais. Veillant à ne pas troubler son sommeil, elle se contenta de déposer un baiser son torse, une main possessive délicatement posée sur sa peau cuivrée.