Une danse pas comme les autres

Rêve ou pas, d'un Prince vers sa Khadin, telle est la question

Elle aimait danser pour lui, rien que pour lui. Longtemps, elle n'avait osé le faire et puis la confiance avait fait son chemin. Et ce soir, elle croisa son regard, le fit sien et oublia le monde qui l'entourait.

Ici au coeur de l'Alhambra, parmi les siens, elle se sentait étrangère. L'étrangère de feu qui régnait sur le domaine des femmes.

Pourtant derrière les hauts murs protecteurs. L'eau coulait à flot, les arbres regorgeaient de fruits sucrés et juteux, les jardins embaumaient de fleurs. La roseraie côtoyait des bassins couverts de nénuphars où s'égaillaient des poissons multicolores.

La Khadin, épouse et mère de l'héritier. Les femmes la respectaient, la craignaient. Le regard des hommes brillaient quand elle daignait apparaître.
D'un simple regard complice, elle savait quand l'un d'entre eux émettait un souhait envieux. Le regard de son homme devenait de glace, une froideur courtoise, un danger mortel pour celui qui oserait. Alors, elle esquissait un sourire, parfois elle éclatait de ce rire si particulier. Il en faisait pâlir plus d'un de peur. Bien souvent le silence s'ensuivait, lourd, oppressant, simplement rompu par un claquement des mains du maître des lieux.

Ce soir, l'émir des Marocars leur faisait honneur de sa présence. Chef d'une tribu aussi puissante que la leur, il était un invité de choix et rien n'avait été négligé pour lui faire plaisir. Des mets délicats, au vin les plus siripeux, aux femmes pour le plaisir des yeux. Plaisir des yeux et seulement cela. Ici dans l'Alhambra, aucune femme n'était choisie sans l'accord de cette dernière.

Le Shah avait de cela de particulier que nulles femmes ne vivaient en ces lieux sous la contrainte. Tel avait été le désir de la Khadin. Comme bien d'autres choses alors que cette femme aux cheveux d'argent refusait encore l'idée de partager son diable d'homme. Ils avaient établi les règles. Nulle ne porterait d'enfant sans son autorisation, le mariage ne leur serait accordé et validé que sur les terres de Tanaris, en contre-partie, protection, richesse et bien être leur seraient accordés et elles pourraient retrouver leur pleine liberté au bout d'une année.

Prince et Princesse, Prêtresse et Démoniste, Shah et Khadin, ils étaient deux par delà la vie et la mort. Ils régnaient en maître.

Ce soir au milieu des femmes, elle irradiait. Elle avait passé des heures à se parer pour lui. Sa peau dorée, ses longs cheveux argents, l'éclat de ses yeux bleus soulignés de khôl, jouaient avec les joyaux et les voiles fragiles, une splendide émeraude ornait son ventre plat, ses jambes fines se devinaient, sa main était ornée de Henné. Ce soir, elle était femme jusqu'au bout des ongles. Femme pour lui, sa fierté. Pour lui elle avait revêtu, dans la plus pure des traditions, ses couleurs.

Quand la musique s'éleva au milieu de nulle part, le silence se fit d'or. Elle lui sourit. Lentement elle ferma les yeux et se mit à danser, envoutante, ensorcelante, tendre promesse à une nuit d'ivresse. Elle joua avec lui, l'enveloppa de soie, le frôlant, complice. Elle se laissa porter au rythme de cette danse que jamais elle n'avait osée, oubliant l'espace d'un instant ses origines, pour lui, pour le plaisir des yeux, avant de se laisser glisser à ses pieds, les yeux délicatement baissés.[url][/url]

Belle, somptueuse, majestueuse, il n'y avait pas de mots pour dire toute la fierté qu'elle lui procurait. Elle irradiait de charme et de noblesse, d'une sensualité aux accents voluptueux qui faisait battre le cœur des plus aguerris. Elle se jouait de l'ombre et de la lumière, offrant aux regards des hommes, à travers ses mouvements parfaits, ses formes adorablement sensuelles, subtilement voilées pour mieux les mettre en valeur, rehaussées de trainées d'or, de bijoux précieux et de fards subtils qui élevaient sa danse au rang d'art pour en faire un moment sacré, magnifique, unique, tout à son homme dévolu.

Tous étaient sous le charme, envoutés, mais c'est lui qu'elle ensorcelait de cette danse lascive qu'elle exécutait à la perfection au rythme des musiciens qui peinaient à se concentrer et répétaient inlassablement les mêmes accords. Elle était magie, feu et glace, rayonnante de beauté. Elle était femme jusqu'au bout des ongles et elle lisait dans ses yeux l'émotion qu'elle lui procurait, la partageait et lui rendait à travers ses cils gracieux, jusqu'à ce qu'à ses pieds, essoufflée, elle se pose soudain comme un oiseau à la seconde où la musique s'arrêtait, ses voiles étalés et les yeux délicatement baissés.

L'assemblée était médusée de cette déclaration d'amour à nulle autre pareille et qui disait, non, qui criait la puissance du lien qui unissait ces deux âmes. Prince et princesse, le Shah et sa Khâdin, ils s'adoraient et le prouvaient devant tous. Lentement il se releva, laissant le temps à chacun de reprendre son souffle, elle surtout, puis saisit délicatement sa main ornée d'entrelacs savants. Leur regard était sans équivoque : ils s'appartenaient. Personne ne s'étonna qu'elle écarta délicatement son voile en une délicieuse invitation, qu'il glisse un bras dans son dos et l'embrasse sans autre forme de procès, réponse à sa promesse par une autre promesse.

Elle se laissa faire... juste une seconde, le temps de lui rendre ce baiser puis de virevolter de nouveau dans un rire cristallin puis de disparaitre dans un couloir pour mieux revenir plus tard dans d'autres atours, plus sages sans doute, mais pas moins ravissante.