Vent de haine et de colère

La nuit avait depuis longtemps recouvert les toits de la cité des Hommes. A l'abri des hauts murs, l'essentiel de la population dormait. L'essentiel ? Oui, car en vérité ce n'était pas le cas de tous : A l'intérieur de la grande salle des Jugements, l'émotion s'éteignait doucement, enfin.

La veille, le procès avait tourné court. L'accusé s'était effondré d'un bloc, sans raison apparente. Mais, comme s'il s'était agi d'un signal, des échauffourrées se firent entendre jusqu'à l'extérieur des murs épais. La magistrate, femme au regard calme, presque froid, s'était avancée en contournant son large bureau directorial. Le sang du démoniste n'avait fait qu'un tour : pressentant l'orage il avait immédiatement demandé à sa compagne, la haute-prêtresse Mystiruis Sol'hael, d'établir un écran de Lumière autour de femme et avait prononcé des mots d'ombre pour repousser le Nain à l'allure étrange qui s'avançait de façon menaçante. Grand bien lui en avait pris ! Le Nain tenta vainement de refermer sa prise sur la magistrate qui, immédiatement, disparut dans un fin nuage arcanique pour se retrouver vingt pas plus loin et disparaître du monde visible. Le démoniste n'attendit pas un instant de plus pour donner le signal mental à son acolyte de déclencher l'exfiltration.

Quelques minutes plus tard, retrouvant l'air libre au milieu du tumulte, il s'était élancé. Le maître de l'Ordre avait galopé dans les rues, ne ralentissant son pas qu'une fois arrivé aux portes du manoir d'où il fit immédiatement envoyer les chevaliers de l'Ordre à la rescousse de la Garde de Hurlevent. Rapidement il donna des consignes pour accueillir la magistrate, l'héberger pour la nuit ou lui fournir ce qu'elle jugerait nécessaire pour assurer la continuité de sa mission de justice jusqu'à son départ qui fut convenu très proche. En effet, la dame, jeune femme plus précisément, n'escomptait pas s'éterniser au sein du manoir Hedson, autant par principe que pour ne pas jeter de doute sur son équité. Sa fonction présentait quelques contraintes qui ne faisaient pas toujours bon ménage avec la courtoisie ou le simple plaisir personnel.

Un revers de pensée plus tard, dans un éclat de lumière verdâtre aux ombres chuintants, le démoniste était de retour aux côtés de son aimée qu'il laissa diriger les opérations de contre-guérilla tandis que lui-même parait au plus pressé à l'intérieur du vaste palais de Justice. Le chaos régnait malgré les tentatives d'organisation de soins pour les blessés et choqués, Rédempteurs, Gardes ou malheureux spectateurs qui se trouvaient pris au piège de l'immense palais de Justice en proie à l'opprobe de quelques miliciens qu'on supposait motivés sinon par une curiosité malsaine, pire, par de sombres individus qui rampaient dans la foule en semant la discorde pour le plus grand profit de cet ordre honni qu'était devenu la Purification.

A l'extérieur les chevaliers de l'Ordre se taillèrent un passage avec leurs chevaux lourds jusqu'aux grandes portes. La Garde était aux prises avec des malfrats qui scandaient des propos violents, jetaient des ordures et n'hésitaient pas à lever les armes contre son autorité. Avec l'aide de l'Ordre, ils parvinrent à fermer les portes et les maintenir closes. Très digne, Mystiruis ordonnait les chevaliers de l'Ordre en rangs serrés pour contenir cette foule hostile qui voulait pénétrer les lieux, ivre de violence. Les mots fusèrent, quelques coups furent échangés et quelques tentatives repoussées, mais l'essentiel tint le choc.

Ce n'est que tard dans la nuit que le calme était enfin revenu. La foule, dispersée d'elle-même, comprenant qu'il n'y aurait rien à faire pour forcer le blocus imposé par la Garde, reflua lentement vers les autres quartiers de la ville, leur curiosité plus ou moins satisfaite à la vue des blessés et des traces d'exactions qui parsemaient la grande place du quartier Nain. Enfin l'Ordre put regagner ses quartiers, au grand soulagement de la jeune Naphrat qui ne demanda pas son reste pour réintégrer discrètement le manoir avec toute discrétion. A l'intérieur, les gémissements des blessés s'étaient tus. Dame Fanélia, remise de son contrecoup, s'était assoupie aux côtés de son époux et le prisonnier était soigneusement écroué au milieu des Gardes.

Dans le silence de la nuit, les membres de l'Ordre de la Lumière Aveugle ne prononcèrent pas un mot. Avec un bel ensemble ils sortirent leurs pierres de foyer qui vibrèrent sourdement à l'unisson dans le couvert de leurs capes, manteaux ou tabards. L'instant d'après, dans un éclat de lumière verte, ils s'étaient retirés.