Aurore d'Ebêne

Mystiruis Mar 5 Mai 2009 - 11:29

Il avait un regard droit, mais on n'y lisait aucune fierté. En vérité personne n'aurait su dire ce qu'il dissimulait au fond de lui tant il avait appris à ne rien exprimer sinon, peut-être, celle qu'il aimait comme une sorte d'exception dans un monde dont on aurait pu croire qu'il le voyait tout en nuances de gris. Lentement les langues de brume s'écartaient, ne s'attardant bientôt plus qu'au fond des étangs dont la surface grise, presque metallique, renvoyait l'éclat d'un ciel lourd de menaces.

D'un pas lourd il s'avançait, accompagné de quelques hommes, jusqu'à revenir sur la petite lagune que les soldats s'étaient disputés âprement jusqu'à ce que la nuit mette un terme aux combats. Quelques arbres noircis jetaient sur les herbes brunes des ombres mouvantes. Ils progressaient à pas comptés, fouillant du regard le moindre fourré, le plus petit buisson rabougri à qui les aiguilles acérées offraient une maigre protection contre la faune locale qui tardaient à reconquérir les lieux. Ici et là une exclamation signalait la découverte d'un nouveau cadavre rapidement dépouillé de ses effets s'il était mort, puis entassé dans un chariot qui s'embourbait un peu plus à chaque tour de roue dans la fange de ces marécages sans fin.

Il pensait à sa Ziel, son épouse, sa compagne, celle à qui il dédiait chacun de ses gestes depuis qu'elle avait été l'ultime lueur d'espoir dans un océan de noirceur par lequel les sbires du roi-liche auraient voulu perdre son âme. Absorbé dans ses pensées, il faillit piétiner un nouveau corps, lequel émit un gémissement plaintif. Son regard balaya l'homme allongé dont le sang se perdait dans la tourbe. Sa pâleur était extrême et c'est à peine s'il était parvenu à ouvrir les yeux pour contempler le chevalier. Il voulut lever un bras pour demander de l'aide, ou de l'eau. Akhmôn ne comprenait pas les mots qui peinaient à sortir de la gorge gonflée. L'odeur, jusqu'à présent masquée par l'écran végétal, lui parvint enfin, montant des entrailles à moitié répandues de ce corps dans lesquels les insectes avaient déjà fait leur pitance.

La lourde hache se leva... puis s'abaissa, mécanique. Le geste était sûr, le chevalier n'avait pas manifesté la moindre émotion lorsque l'acier avait mordu la chair, séparant d'un trait net la tête des épaules. Une âme venait d'être libérée et d'autres, plus nombreuses encore, suivraient. Il continua sa marche lente, laissant à d'autres le soin d'embarquer le cadavre et de trier ses effets. Qui aurait pu croire qu'une muette prière avait accompagné le départ de cette vie vers un au-delà auquel il voulait croire encore, sinon pour lui, du moins pour ceux qu'il aimait.

Ldj ZielAkhôm